dimanche 18 septembre 2011

LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE EN MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE (798-813

Pierre Guichard
Les débuts de la piraterie andalouse en Méditerranée
occidentale (798-813)
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°35, 1983. pp. 55-76.
Résumé
Résumé Cet article propose un réexamen des textes des annales carolingiennes concernant les premières expéditions «sarrasines» contre les îles et les régions côtières de la Chrétienté occidentale. Ces attaques se différencient nettement, par leur caractère non officiel et leur but principalement économique, des grandes expéditions de l'époque omeyyade dont un demi siècle de calme en Méditerranée les sépare. Elles ne correspondent pas à un phénomène diffus et insaisissable, mais se situent entre deux événements connus par ailleurs (la révolte de 'Abd Allah al-Balansi contre l'émir al-Hakam II de Cordoue et la venue des
Andalous à Alexandrie) qui semblent en rapport avec leur début et leur fin. Ce sont enfin principalement des Berbères (Maun) andalous et marocains qui semblent avoir participé à ces raids.

Guichard Pierre. Les débuts de la piraterie andalouse en Méditerranée occidentale (798-813). In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°35, 1983. pp. 55-76.
doi : 10.3406/remmm.1983.1981
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1981
Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, 35, 1983-1.

LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE EN MÉDITERRANÉE OCCIDENTALE (798-813)
par Pierre GUICHARD
Une phase obscure de l'histoire de la Méditerranée.
La «piraterie sarrasine» représente certainement l'un des faits les moins bien
connus de l'histoire de la Méditerranée médiévale. Comme les sources arabes sur le
sujet semblent bien être pratiquement inexistantes (1), la question a surtout été
abordée du point de vue des pays qui ont subi les méfaits des raids musulmans, par
les auteurs qui se sont occupés de l'histoire des invasions ou de celle des régions
méditerranéennes de l'Europe occidentale. Les hypothèses souvent fantaisistes
d'érudits locaux, les synthèses prématurées d'historiens du siècle passé et jusqu'à
des travaux archéologiques plus récents, enthousiastes mais insuffisamment assurés,
ont jeté une sorte de discrédit sur l'histoire des incursions et des implantations sarrasines
(2). Non sans quelque audace, Philippe Sénac a tenté récemment une mise au
point sur le sujet que l'on espère annonciatrice de recherches plus approfondies (3).
Le «tabou» qui, selon l'expression qu'il emploie dans son avant-propos, pèse sur le
sujet, semble avoir touché même les recherches engagées au cours de la dernière dé
cennie sur les épaves «sarrasines» découvertes le long des côtes provençales, recher
chesqu i se trouvent actuellement interrompues de façon tout à fait regrettable (4).
On trouve, chez les auteurs qui ont abordé la question, une grande diversité
d'opinions sur l'ampleur et les conséquences mêmes de ces incursions sarrasines.
Pour certains, il s'agit de l'un des faits les plus importants de l'histoire de l'Europe
méridionale (5). Les travaux les plus récents, orientés vers l'histoire sociale, donnent
au contraire l'impression de considérer le fait sarrasin comme trop extérieur aux
régions étudiées pour avoir, par lui-même, influencé profondément leur évolution.
Pour eux, la piraterie s'insère dans une phase de désorganisation généralisée, dont
elle profite sans en être la cause (6). Justement parce qu'elles considèrent avec quel
que méfiance ce phénomène non-indigène, et aussi parce qu'elles s'intéressent
surtout à la période postérieure à la grande poussée musulmane en Méditerranée, les
grandes thèses de l'histoire méridionale publiées depuis une dizaine d'années ne
réservent, assez normalement, qu'une place secondaire à un problème marginal par
rapport à leurs préoccupations (7). L'étude la plus précise est celle de Jean-Pierre
Poly qui oppose nettement les incursions du IXe siècle, qui affectèrent principale ment les cités de la Provence occidentale et la région du Bas-Rhône, à l'implantation
à demeure du Xe siècle, au cours de laquelle pillages et dévastations restent limités à
la Provence orientale, avant que le vide de cette dernière région n'oblige les pillards
à chercher jusque dans les Alpes de nouvelles sources de profits (8). La nature exacte
et l'importance de la «colonie» sarrasine du Freinet risquent, faute de textes, de res
ter à jamais des inconnues pour les historiens, à moins que le progrès des recherches
archéologiques ne vienne quelque jour jeter un peu de lumière sur cette phase part
iculièrement obscure de l'histoire provençale et méditerranéenne.
La controverse ouverte il y a un demi siècle par les «thèses de Pirenne» aurait
pu inciter à examiner d'un peu plus près les quelques sources concernant la première
phase des activités sarrasines, celle des raids sur les îles et les côtes de l'empire caro
lingien et des États qui lui succèdent. Pour Pirenne lui-même, on le sait, se produisit
très tôt une fermeture complète de la Méditerranée au commerce occidental, à la
suite de la conquête musulmane : «Désormais, écrivait-il, au lieu de rester le lien
millénaire qu'elle avait été jusqu'alors entre l'Orient et l'Occident, la Méditerranée
devient une barrière... La mer Tyrrhénienne est tout entière au pouvoir des Sarra
sins. Par l'Afrique et l'Espagne, ils l'enserrent au sud et à l'ouest, en même temps
que la possession des îles Baléares, de la Corse, de la Sardaigne et de la Sicile leur
constitue des bases navales qui achèvent de resserrer sur elle leur maîtrise. A partir
du commencement du Ville siècle, c'en est fait du commerce européen dans ce
grand quadrilatère maritime. Le mouvement économique y est maintenant orienté
vers Bagdad. Les Chrétiens, dira pittoresquement Ibn Khaldoun, «ne peuvent plus y
faire flotter une planche» (9). Les critiques faites aux idées piréniennes n'ont pas
épargné cette vision catastrophique d'une Méditerranée vidée de tout commerce
chrétien à la suite de la formation de l'empire musulman. Dans un bref article qui
était un modèle de précision, Ganshof avait montré que les relations maritimes des
ports provençaux ne s'étaient pas totalement interrompues à l'époque carolingien
n(10e). D' une façon plus générale, Lopez a contesté le lien même qu'établissait
Pirenne entre la piraterie sarrasine et l'arrêt supposé du commerce : «Le sens com
mun nous dit que la piraterie présuppose la navigation, et il est contradictoire de dire
que les pirates interrompirent réellement toute navigation pour plus d'un siècle, car
une complète absence de navires aurait signifié la disparition des pirates» (11).
On n'est guère allé au delà de ces jugements d'ensemble sur les conséquences
de la piraterie, sans s'interroger davantage sur le phénomène lui-même, sa chronolog
ieet ses aspects principaux. Sans doute la pauvreté des sources a-t-elle découragé
les historiens. Le panorama n'est cependant pas, pour cette première période, aussi
sombre que pour le Xe siècle, et de la confrontation des textes carolingiens avec les
renseignements qu'apportent les chroniques arabes sur la situation de l'Occident
musulman à l'époque des premiers raids de piraterie sarrasine, on peut tirer quelques
hypothèses sur les origines du phénomène et tenter de mieux cerner sa chronologie.

LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE  Le contexte méditerranéen du très haut Moyen Âge.
Il semble que l'on puisse admettre un affaiblissement continu des échanges en
Méditerranée à partir de la basse romanité, conduisant à une situation très dégradée
au Vile siècle, bien avant que ne se produise la poussée musulmane sur les bords
méridionaux de la mer. A l'appui de cette hypothèse, on peut rappeler le fait que les
références à ces communautés d'Orientaux qui, au lendemain de la disparition de
l'Empire en Occident, avaient continué à maintenir des liens commerciaux avec
l'Egypte, la Syrie et Byzance, ne dépassent guère le début du Vile siècle (12). On
peut penser que cette contradiction du grand commerce intraméditerranéen fut
provoquée par un jeu complexe de facteurs parmi lesquels il faut compter la régres
sionte chnique liée au déclin de la civilisation romaine (13), l'évolution des sociétés
occidentales vers une structure proto-féodale et une ruralisation généralisée, et le
déplacement des centres du pouvoir politique et des foyers de civilisation les plus
vivants hors de l'aire méditerranéenne (14). A cette évolution est sans doute liée
l'interruption de monnayage d'or, assez tôt dans la Gaule franque, et dans la premièr
emoit ié du Ville siècle dans l'Espagne tout juste conquise par les Musulmans (15).
Il faut cependant admettre que notre point de vue se trouve faussé du fait de la
grande pauvreté des sources dont l'indigence nous empêche de savoir comment se fit
la transition des réseaux d'échanges intraméditerranéens de tradition romaine à ceux
de l'époque carolingienne, qui paraissent assez largement réorientés en fonction
d'une certaine demande — d'esclaves en particulier — provenant des zones occupées
par les Musulmans (16). A la fin du Ville et au début du IXe siècle, il apparaît nett
ement que les échanges entre l'aire byzantine et musulmane et le monde carolingien
n'utilisent la Méditerranée que lorsque la voie maritime ne peut être évitée, aux
points de passage obligés que sont l'Adriatique, la Méditerranée centrale entre Sicile
et Ifrîqiya, le détroit de Gibraltar. On ne saurait en effet trop insister sur le caractère
essentiellement continental des empires franc et islamique qui, au IXe siècle, ne
présentent que des façades méditerranéennes économiquement inertes en comparai
sodnes z ones intérieures nettement plus actives (17).


Les expéditions maritimes musulmanes jusqu'au milieu du Ville siècle.
C'est donc autour d'un espace maritime déjà largement déserté par les
marchands que se fait en Occident la progression de l'Islam à partir de la fin du Vile
siècle. Il est probable que, dans un premier temps du moins, le bouleversement
politique que représente la conquête musulmane ne fit qu'aggraver la tendance
préexistante, moins du fait des activités maritimes des musulmans qu'à cause du
caractère essentiellement militaire des contacts avec les Francs. La première phase
d'expansion navale musulmane en Occident est assez bien connue, grâce aux chro
niques arabes (18). Elle débute assez tôt par d'ambitieuses expéditions maritimes
menées depuis l'Orient d'abord contre la Sicile, clé du dispositif byzantin en Médit
erranée, contre laquelle un premier raid fut mené dès 652. L'une de ces expéditions
aurait même atteint les côtes espagnoles entre 672 et 680 (19). Mais c'est surtout
après la creation de l'arsenal de Tunis, à l'extrême fin du siècle, qu'un effort naval
systématique fut poursuivi, visant principalement la Sicile et secondairement la
Sardaigne et les Baléares, sous forme de grandes flottes presque annuelles dont on
peut se demander si elles avaient pour but la conquête ou simplement le butin (20).
A partir de 711, la conquête de la péninsule ibérique eut un caractère essen
tiellement terrestre, qui n'exclut cependant pas la présence d'un soutien naval, dont
il est difficile d'évaluer l'importance et les conditions d'utilisation. Chronologi
quementt,o utefois, la participation de la flotte ifrîqiyenne à l'entreprise ibérique ne
paraît pas avoir dépassé l'année 719 (21) ; et l'on ne trouve plus ensuite, dans le cours
du Ville siècle, de mention de forces navales musulmanes le long des côtes hispani
quesou franques, alors que les raids contre la Sicile se poursuivent jusqu'en 752,
date de la dernière grande expédition menée par le gouvernement pratiquement
indépendant de l'Ifrîqiya contre les grandes îles byzantines de Méditerranée occi
dentale (22). Cette attaque de 752 clôt la période des grandes expéditions officielles
lancées par les pouvoirs politiques musulmans dans le cadre de 1' «expansion musul
mane». A cette date, en effet, l'Occident musulman se trouve depuis une décennie
plongé dans un état de crise et d'anarchie qui s'insère dans le contexte général des
difficultés ethniques, religieuses et politiques qui affectent tout l'empire islamique
au milieu du Ville siècle, et sont sans doute, pour une bonne part, à l'origine de
l'interruption de sa progression. Le demi-siècle suivant devait être, pour la Méditer
ranéeto ut entière, une période de paix dont les raisons ne sont pas évidentes.
Contrairement à ce que l'on avait observé durant la première moitié du Ville siècle,
c'est d'abord en Méditerranée occidentale que les entreprises de piraterie en prove
nance d'Espagne marquèrent, à l'extrême fin du siècle, la reprise des attaques mariti
mes,a lors que la Méditerranée centrale, où les rapports entre Byzantins et Ifriqiyens
semblent être restés cordiaux jusque vers 820, devait encore connaître deux décen
nies de calme (23).

L'interruption des attaques maritimes musulmanes en Méditerranée occidentale dans la
seconde moitié du Ville siècle.
Il n'y a donc aucune continuité chronologique entre la première offensive na
vale musulmane, qui s'achève en 752, et la «piraterie sarrasine» du IXe siècle.
Cependant, ainsi que le note avec raison Lucien Musset, «l'historiographie distingue
souvent mal les deux phases successives de l'expansion islamique dans le bassin
occidental de la Méditerranée» (24). La confusion remonte au moins à Pirenne, dont
les écrits laissent nettement l'impression d'une suite ininterrompue de raids musul
mans terrestres et maritimes dans les pays de la Méditerranée occidentale et surtout
sur les côtes franques. Pour lui, l'expulsion définitive des Musulmans de Narbonnaise
— il date la prise de Narbonne par Pépin le Bref de 759 — est suivie, presque
sans discontinuité, par des menaces ou attaques maritimes : ainsi, en 768, les Maures
auraient inquiété les environs de Marseille, les côtes italiennes en 778, la Septimanie
en 793 (25). Lewis, qui pourtant marque plus nettement que Pirenne le recul tempor
aired e l'Islam en Méditerranée centrale après la première poussée antérieure à 752

LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE
et en attribue le mérite au renforcement de la défense byzantine (26), n'introduit pas
la même rupture dans la partie franco-ibérique de la mer. Pour lui, cette zone est
précisément l'une des rares régions où la suprématie maritime restaurée par Byzance
ne s'exerce pas, et où «une force navale organisée de façon purement locale», basée
dans les ports de la zone littorale d'al-Andalus entre Tarragone et Tortosa, aurait eu
pour mission de défendre les marches nord-orientales de l'Etat omeyyade contre la
menace carolingienne. Il admet d'ailleurs que cette marine fut peu active, ne se
livrant qu'à un petit nombre d'actions comme celles de 768, 778 et 793 déjà signalées
par Pirenne (27).
Le dernier en date des auteurs à avoir étudié l'histoire maritime de cette région
au cours de cette période, Eickhoff, reste plus discret et moins précis sur les évé
nements qui se déroulent dans cette partie de la Méditerranée. Il leur consacre tout
de même un court paragraphe où il signale, de façon un peu vague, les raids des
«corsaires omeyyades» qui, partis de l'actuelle Catalogne, auraient atteint Narbonne
et Marseille, dans le cadre d'une sorte de guerilla de frontière entre Omeyyades et
Carolingiens (28).
Si l'on a la curiosité de se reporter aux sources qui sont censées étayer ces affi
rmations concernant les prétendues «attaques maritimes» musulmanes de 768, 778 et
793, on a la surprise de constater qu'il ne s'agit en fait de rien de tel. La première date
correspond tout simplement à un passage de la chronique du Pseudo-Frédégaire qui
raconte avec un certain détail le passage par Marseille des ambassadeurs échangés
entre le calife de Bagdad et le souverain franc (29). Dans les années 776 - 778, deux
textes pontificaux font bien allusion aux Sarrasins, mais il ne s'agit nullement d'une
«menace sur l'Italie», comme l'écrit Pirenne et le répète Lewis : en 776, Hadrien 1er
se défend, ainsi qu'il a été dit plus haut, d'une accusation de Charlemagne selon
laquelle ses sujets romains se seraient rendus coupables de ventes d'esclaves aux
Musulmans (30). Deux ans plus tard, le pape approuve, dans une autre lettre, l'expé
dition que le souverain carolingien entreprend en Espagne (31). Quant à la date de
793, elle correspond bien à une importante expédition musulmane en Gaule, mais
aucune source n'indique que cette attaque ait eu un caractère maritime. Une import
ante armée dirigée par des généraux omeyyades attaque d'abord Gérone, puis, après
avoir probablement franchi les Pyrénées par la Cerdagne, incendie les faubourgs de
Narbonne et, alors qu'elle marche sur Carcassonne, se heurte à une armée franque,
dirigée par le duc de Toulouse, Guillaume (32).


L'évolution de la conjoncture «géopolitique».
Les attaques maritimes sarrasines qui reprennent, à partir d'al Andalus princ
ipalement, dans les dernières années du Ville siècle et vont prendre, au cours des deux
siècles suivants, une telle importance pour les régions méridionales de l'Europe
chrétienne, présentent un caractère très différent de celles de l'époque omeyyade.
Alors que ces dernières, organisées par le gouvernement califal, puis par son repré
sentant en Ifriqîya, sont des expéditions officielles soigneusement répertoriées par
les textes annalistiques arabes, les secondes sont totalement ignorées des chroniques
musulmanes et ne nous sont connues que par les textes carolingiens. Elles paraissent
s'être déroulées en dehors de toute initiative et même de tout contrôle étatique, ce
que l'on comprend mieux si l'on envisage la situation politique de l'Occident musul
mana u sortir de la crise politique du milieu du Ville siècle, à l'époque de l'apogée
des empires abbasside et carolingien.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, ces deux ensembles de civilisation présentent un
caractère nettement continental, et la Méditerranée les sépare bien plus qu'elle ne
les unit. Même les appendices extrême-occidentaux du monde musulman, les Etats
pratiquement indépendants qui se sont constitués au Maghreb et en Espagne, du fait
de la crise politico-religieuse qui prépare et accompagne l'effondrement du califat
omeyyade, l'arrivée au pouvoir des Abbassides, et le déplacement vers L'Est du
centre de gravité de l'empire islamique, ne sont que très peu tournés vers la mer.
Tous les centres de pouvoir majeurs sont situés à l'intérieur des terres ; ce sont aussi,
à Kairouan, Tahert, Fès, Cordoue, les principaux foyers de rayonnement d'une civil
isation urbaine dont l'influence à quelque peine à s'étendre à tous les territoires qu'ils
prétendent contrôler. Les Etats dont ils sont les capitales ont une structure politique
assez lâche, marqués par l'existence de fortes tendances centrifuges particulièrement
sensibles dans les régions périphériques dont font partie les zones maritimes. Ils ne
semblent guère s'être intéressés à la Méditerranée avant une date assez tardive. Le
meilleur exemple serait le retard avec lequel L'État cordouan parvient à étendre son
autorité aux Baléares, qui pouvaient pourtant apparaître comme un prolongement
naturel de la Péninsule : ce n'est que dans le second quart du Xe siècle, en effet, que
les îles sont intégrées administrativement à l'Etat omeyyade, soit plus de deux
siècles après la conquête d'al-Andalus (33).
Dans ces zones côtières éloignées des grandes capitales de l'Islam occidental,
caractérisées par leur faible niveau d'urbanisation et de développement économique
et culturel, ne purent se développer, aux époques de faiblesse des centres de pouvoir
principaux, que des organismes politiques marginaux, qui en restèrent à un stade de
développement assez embryonnaire et ne nous ont laissé que très peu de témoigna
geécrsits de leur existence. C'est précisément de ces régions que partirent les expé
ditions de piraterie à partir des toutes dernières années du Ville siècle.


Le raid de 798 contre les Baléares.
Les premiers textes carolingiens qui mentionnent effectivement une expédition
navale musulmane en Méditerranée occidentale concernent l'attaque menée contre
les Baléares en 798 et 799. Les Annales royales indiquent en effet, sous la première
de ces deux années, que «les îles Baléares furent pillées par les Maures et les
Sarrasins» (34). Sous l'année suivante, il est dit que les habitants des îles demand
èrent du secours aux Francs, qui leur envoyèrent des renforts et aurairent remporté
quelques succès puisque des emblèmes sarrasins furent apportés à Charlemagne
(35). Ces brèves données sont notre seule source d'information sur ce qui semble
avoir été une tentative musulmane pour occuper les Baléares, et qui paraît avoir eu
une certaine envergure, compte tenu de la durée que lui attribue la chronique et de
l'importance qu'elle lui donne. Les sources hispano-arabes sont au contraire absolu
ment muettes sur cet événement, ce qui peut être dû en partie au fait que l'opération
fut un échec, mais sans doute aussi à son caractère non officiel, à une époque où les
seules sources d'information sont constituées par des chroniques dérivant en général
d'annales rédigées dans l'entourage des émirs de Cordoue.
On ne peut guère penser, en effet, que ce dernier ait pu, au cours de cette
période, engager des forces dans une telle opération : d'une part, ainsi qu'on l'a déjà
signalé, il ne disposait sans doute pas des moyens nécessaires, d'autre part la situa
tion politique intérieure de ses Etats ne lui laissait certainement pas le loisir de se
soucier de la conquête des Baléares. En 798 - 800, précisément, le contrôle des
régions orientales, d'où partirent sans doute les navires musulmans, lui échappait très
largement. L'émir al-Hakam 1er, qui a accédé au pouvoir en 796, se trouve en effet en
pleine lutte contre ses oncles, Sulaymân et 'Abd Allah, frères de son père et prédé
cesseur Hisham 1er et, comme ce dernier, fils du premier Omeyyade de Cordoue,
'Abd al-Rahmân 1er. Ces deux princes, déjà rebelles à l'autorité de leur frère
Hishâm, avaient dû s'exiler au Maghreb sous son règne et étaient revenus tenter de
renverser leur neveu à l'accession de celui-ci au pouvoir en avril 796. 'Abd Allah, le
cadet, était arrivé le premier dans le courant de la même année et s'était établi dans
la région valencienne. De là, il avait entrepris en 797 un voyage de propagande qui,
par la Marche supérieure — la vallée de l'Ebre — où il avait tenté de gagner à sa cause
des notables arabes de la région, l'amena jusqu'à la cour de Charlemagne en qui il
espérait trouver un allié. Apparemment, c'était alors l'ensemble des régions levan
tines de la péninsule qui sortaient de l'obédience omeyyade, puisque les mêmes
sources franques qui signalent la venue auprès du souverain carolingien du prince
omeyyade, mentionnent aussi la présence à Aix-la-Chapelle du gouverneur de
Barcelone, Sa'dûn, évidemment de connivence avec le rebelle. Revenu dans la
Marche avant la fin de l'année 797, 'Abd Allah continua à intriguer contre son neveu,
cependant que, au début de 798 probablement, son frère Sulaymân amenait à son
tour des renforts maghrébins dans la péninsule et s'établissait dans la région orientale
d'où, à partir de la fin de l'année, il organisait plusieurs attaques contre l'Andalousie,
où il fut finalement tué en 800 ou 801. Revenu à Valence, 'Abd Allah négociait alors
avec l'émir une sorte de traité qui, définitivement établi en 802 ou 803, permettait au
prince rebelle de continuer à résider à Valence où, en échange d'une pension, il
acceptait de se tenir tranquille (36).
C'est donc précisément pendant ces quelques années au cours desquelles d'im
portants moyens navals et militaires rebelles se trouvaient concentrés sur la côte
orientale de l'Espagne que se produit l'attaque des Baléares, difficilement explicable
en l'absence d'une telle «mobilisation». On peut penser que, peut-être pour s'assurer
une position de repli, ou dans l'espoir de faire du butin, les chefs des troupes et des
navires ainsi rassemblés ont décidé cette opération. Il n'existe évidemment pas de
preuve décisive susceptible de confirmer cette hypothèse, mais peut-être une vérifi
cation indirecte est-elle apportée par le vocabulaire qu'utilisent les textes carolin
giens pour désigner les auteurs de l'agression contre les Baléares. Il y a en effet une
coïncidence entre les sources arabes, qui indiquent que les forces rassemblées par les
chefs rebelles étaient constituées essentiellement de Berbères recrutés au Maghreb
ou dans la région levantine (37), et les sources latines qui, alors qu'elles emploient
constamment le terme de Sarraceni pour désigner les Musulmans d'Espagne, util
isent pour la première fois le mot Mauri à propos de l'attaque de 798 - 799. Or, une
étude attentive de la terminologie utilisée par les chroniqueurs du Ville siècle et du
début du IXe montre que ces termes sont loin d'être employés au hasard et indiff
éremment : le premier désigne les Arabes venus d'Orient, et le second les Berbères
venus des anciennes Maurétanies romaines. Il est donc remarquable que les sources
franques de cette époque parlent toujours de Sarraceni lorsqu'elles mentionnent les
Musulmans d'Espagne ou d'Afrique avec lesquels sont entretenus des rapports mili
taires ou diplomatiques, mais utilisent constamment Mauri pour désigner les auteurs
des raids maritimes venus d'Espagne et sans doute aussi du Maghreb occidental (38).


Les raids maritimes de 805 - 813
L'attaque de 798 marquait en effet le début d'une première série d'expéditions
plus lointaines, atteignant essentiellement les autres îles de la Méditerranée, qui ne
nous sont toujours connues que par les chroniques franques et les lettres pontifical
es. Les premières indications concernent la présence des Sarrasins en Corse dans les
années 806 et 807, mais elles font état, indirectement, de leur apparition dans les
eaux provençales et italiennes dès les années antérieures et sans doute peu de temps
après le raid contre les Baléares. En 806, en effet, le roi Pépin envoie d'Italie une
flotte pour défendre la Corse «contre les Maures qui la dévastaient», ce que voyant,
les agresseurs se retirent sans grand dommage pour les Franco-Italiens qui n'eurent à
déplorer que la mort du comte de Gênes qui s'était imprudemment aventuré (39). Ce
bref récit des événements suggère qu'il s'agit d'une mise en défense à la suite d'att
aques antérieures, ce que confirme la notice de l'année 807, qui indique que l'Empe
reulrui -même envoya alors une autre flotte avec, à sa tête, le connétable Burchard,
afin de protéger l'île contre les Maures «qui avaient pris l'habitude de venir la piller
les années précédentes». Le texte revient sur cette précision en indiquant que ces
Maures, «partis d'Espagne selon leur habitude», s'en prirent en premier lieu à la
Sardaigne où ils furent durement accrochés par les indigènes avant de venir se heur
terà la flotte carolingienne qui les vainquit à son tour et leur fit perdre treize navires.
Un détail intéressant est encore apporté par la suite du texte : les Maures eux-mêmes
auraient reconnu que leurs revers de cette année étaient dûs au fait qu'ils avaient,
l'année précédente, au mépris de toute justice, enlevé de Pantelleria soixante moines
qui, vendus comme esclaves en Espagne, avaient été rachetés et restitués à leur pays
grâce à la libéralité de Charlemagne (40). Les pirates de 806 étaient donc arrivés
jusqu'aux abords de la Sicile. Une continuité paraît établie entre les raids successifs,
tant par ces détails que par l'utilisation constante du terme Mauri, déjà relevé à
propos de l'attaque contre les Baléares. On constate par ailleurs que l'origine hispa
nique de ces flottes est signalée à plusieurs reprises. L'impression qui se dégage de
ces textes est qu'il ne s'agit pas d'une piraterie anarchique engageant des effectifs
dispersés, mais d'expéditions importantes, vraisemblablement concertées sous une
direction unique.
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 63
Ces raids se poursuivent au cours des années suivantes : en 809, les mêmes
Maures d'Espagne attaquent une cité de Corse, la*mettent à sac et s'emparent de la
plus grande partie de la population (41). En 810, ayant rassemblé «une grande flotte
de presque toute l'Espagne», ils s'en prennent d'abord à la Sardaigne, puis à la Corse
où, n'ayant pas rencontré de défense, ils dévastent l'île à loisir et peut-être s'y
établissent à demeure (42). En 812, se répand le bruit de la venue d'une flotte andalouse
et africaine ayant pout but l'Italie. Les Annales carolingiennes indiquent
seulement une attaque de cette flotte contre la Corse et la Sardaigne (43), mais une
lettre du pape à Charlemagne mentionne, la même année, des préparatifs byzantins
en Sicile destinés à parer à une menace des «Agarènes», ainsi que des raids contre les
îles de Lampedusa, Ponza et Ischia qui sont imputés à des Maures. Il semble bien
qu'il s'agisse de la même flotte, d'autant plus que le pape conclut sa lettre en indi
quant que, grâce aux mesures prises par l'Empereur, le territoire pontifical n'a pas eu
à souffrir d'incursions musulmanes, ce qui paraît indiquer qu'une même menace
avait pesé sur toute l'Italie (44). L'année suivante (813), des Maures revenant de
Corse en Espagne chargés de butin furent attaqués près de Majorque par le comte
d'Ampurias, qui leur prit huit navires où l'on trouva plus de cinq cents esclaves.
C'est au désir de venger cet échec que la chronique carolingienne attribue l'attaque
et le pillage par les Maures de Civitacecchia (Centumcellae) et de Nice, précisant en
outre qu'ils furent la même année vaincus en Sardaigne, où ils subirent de lourdes
pertes (45). Une autre lettre pontificale fait état, la même année, d'un raid contre la
région de Reggio, et du désastre subi par une grande flotte qui se dirigeait vers la
Sardaigne (46).
Il est difficile de voir dans ces raids successifs l'expression de la politique offi
cielle de l'émirat omeyyade de Cordoue. On l'a constaté pour la tentative contre les
Baléares, qui a certainement été organisée en dehors de toute initiative cordouane.
On pourrait sans doute penser que les attaques des années 806 - 809 sont à situer
dans le contexte du conflit armé qui se déroule alors entre l'Empire et l'émirat pour
la possession de Tortosa. Mais je crois qu'il convient de se demander si ce ne sont pas
plutôt les premières initiatives des «pirates» musulmans en Méditerranée occidental
equi pro voquent l'offensive carolingienne dans les régions côtières, conduisant à
l'attaque et à la prise de Barcelone en 801 et à plusieurs tentatives infructueuses pour
s'emparer de Tortosa (47). Il semble en effet qu'avant l'apparition d'une menace
musulmane sur mer, l'effort militaire carolingien dans la Marche avait surtout tendu
à une avancée vers les zones intérieures de Lérida et Huesca, en direction de la vallée
de l'Ebre (48). Entre 810 et 813, en tout cas, les sources carolingiennes témoignent
plutôt de la volonté de paix de l'émir de Cordoue, peu compatible avec le déclenche
mendets grandes expéditions maritimes de ces années (49). On n'oubliera pas
d'autre part que jusque vers 823 - 824 une partie des zones levantines semble avoir
continué à échapper au contrôle direct de l'émirat du fait de la prépondérance que
semble avoir conservée dans cette région l'oncle de l'émir al-Hakam 1er, 'Abd Allah
«le Valencien» (50). Les origines berbères de la majorité des musulmans établis dans
cette partie de la péninsule pourraient expliquer aussi bien le terme de Mauri, que
les sources occidentales continuent à utiliser pour désigner les pirates musulmans,
que le fait que certaines expéditions semblent avoir été organisées conjointement
64 P. GUICHARD
par des Andalous et par des Africains (51). Quant aux objectifs de ces pirates, il
semble bien que l'on puisse déduire des trop brèves informations que nous fournis
senltes textes carolingiens qu'ils consistaient principalement en la capture d'escla
ves«m, archandise» particulièrement demandée dès cette époque dans tout le monde
musulman que les trafics commerciaux existants dans le monde méditerranéen ne
devaient pas fournir en nombre suffisant.
Le contexte politico-diplomatique méditerranéen vers 810 - 813
Comme on a pu le constater plus haut, les sources carolingiennes et pontificales
font état, à la fin de la première décennie du IXe siècle et au début de la seconde,
d'une aggravation et d'une accélération des attaques des Maures d'Espagne, deve
nues pratiquement annuelles après 809. Sans pouvoir en fournir la preuve documenta
ireon, p eut penser que ces «pirates» venaient principalement de la côte levantine
de la péninsule ibérique, entre Tortosa et Alicante, région qui paraît avoir joui à cette
époque d'une sorte d'autonomie de fait, sous l'autorité probablement assez nominale
de 'Abd Allah al-Balansî. A Tortosa même, on trouve à cette époque un gouverneur
omeyyade, 'Ubaydûn, mentionné à la fois par les sources franques et par les textes
arabes. C'est lui qui dirige la résistance militaire à la poussée carolingienne dans
cette région autour de 809, vraisemblablement avec l'aide de 'Abd Allah al-Balansî
et des Berbères établis dans la région valencienne. Les sources franques font d'ail
leurs ressortir de façon significative le rôle de ces Mauri dans les opérations militaires
qui les opposèrent aux musulmans lors des tentatives de conquête de Tortosa (52).
C'est sans doute le même élément ethnique maure qui joue un rôle prépondérant
dans les raids maritimes contre la Corse, la Sardaigne et les côtes italiennes et
provençales. Le seul chef «pirate» dont le nom nous soit connu à cette époque est
celui d'un Berbère originaire probablement de la région valencienne qui, une quin
zaine d'années plus tard, part de Tortosa avec une flotte destinée à faire le djihâd
contre les Chrétiens et vient aider les troupes aghlabides à conquérir la Sicile (53).
Ces Berbères étaient probablement en relation avec leurs frères de race du Maghreb,
ce qui explique le caractère hispano-maghrébin des dernières grandes expéditions
maritimes.
Les Maghrébins qui participèrent aux côtés des Andalous aux raids contre les
îles et les côtes chrétiennes venaient sans doute, ainsi que l'a montré Mohamed
Talbi, plutôt du Maghreb extrême — le Maroc actuel — que d'Ifriqîya. Probablement
du petit émirat de Nakur (54) et de l'Etat Idrisside dont la situation intérieure,
pendant la minorité d'Idris II et au début du gouvernement personnel de celui-ci,
paraît avoir été fort troublée. C'est en 809 qu'Idriss II aurait fondé sa nouvelle capital
ede a l-'Aliya, symbole de sa volonté de restauration du pouvoir sultanien au Maroc,
et c'est probablement à la même époque qu'il faut situer ses efforts pour soumettre
les tribus berbères dissidentes (55). De cette restauration du pouvoir dans cette par
tie du Maghreb témoignerait l'ouverture diplomatique qu'Idriss II aurait tentée en
direction de Byzance, événement dont nous avons connaissance par une lettre du
pape à Charlemagne, datée de 813, qui informe ce dernier de la venue, auprès du
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 65
patrice de Sicile, d'ambassadeurs sarrasins qui semblent bien, d'après leurs propos,
ne pouvoir être que des Idrissides, chargés de négocier une paix, et même une sorte
d'alliance. Ces envoyés s'étaient excusés implicitement de la participation de
Maghrébins aux entreprises de piraterie maritime, en faisant état de la situation
d'anarchie dans laquelle leur pays s'était trouvé pendant la minorité de leur souver
ain.I ls avaient obtenu la signature d'une paix de dix ans, insistant cependant sur le
fait qu'ils ne pouvaient répondre des Espagnols qui ne dépendaient pas de leur
souverain (56).
La chronologie des rapports entre les Francs et l'émirat de Cordoue au cours de
ces années est très difficile à établir (57). D'après le texte, malheureusement perdu,
du Muqtabis d'Ibn Hayyân, il y aurait eu des ouvertures de paix en 807, mais peutêtre
s'agit-il d'une erreur du chroniqueur, dont la chronologie semble, en ce qui
concerne les rapports avec les Francs, assez sujette à caution (58). Mieux assurée est
la date de 809 pour l'importante campagne entreprise par Louis d'Aquitaine contre
Tortosa. Les explications embrouillées de la chronique franque dite «de l'astron
omceon»f irment les indications du Bayân al-Mughrib, selon lequel les troupes levées
dans la région par le gouverneur de Tortosa 'Ubaydûn et celles amenées en renfort
par le prince héritier 'Abd al-Rahmân infligèrent de sérieux revers aux Francs (59).
L'émir al-Hakam ne devait pas souhaiter ajouter aux difficultés intérieures de ses
Etats une guerre sur la frontière carolingienne, ce qui pourrait expliquer la mention,
dans les annales d'Eginhard, d'une paix conclue en 810 (60). Pour les années suivant
eso,n trouve de sérieuses divergences entre les différents auteurs, du fait de l'incer
titude des sources. Tous admettent qu'il y eut trois campagnes franques contre
Tortosa, mais pour certains elles eurent lieu entre 804 et 809, pour d'autres entre 809
et 811 (61). Dans le premier cas la paix de 810, renouvelée en 812, met fin aux
hostilités entre les Francs et les Musulmans dans la marche orientale, et les expédit
ionsd e piraterie des années 810 -813 apparaissent bien comme sans lien avec la
politique extérieure de l'émirat qu'elles contrarient. Ce sont d'ailleurs justement ces
raids de 810-813 qui amènent plusieurs auteurs à rejeter la seconde chronologie,
considérant que des hostilités importantes en 810 et 811 sont contradictoires avec la
paix conclue en 810 (62). Il me semble cependant que l'hypothèse de trois campa
gnesfr anques en 809, 8 10 et 8 1 1, la plus conforme au récit contenu dans la chronique
dite «de l'Astronome», seule source à apporter des informations sur ces événements,
acquiert davantage de vraisemblance si l'on tient compte précisément de l'autono
midees a ctions de piraterie par rapport aux objectifs de la politique cordouane, dont
le premier souci, compte tenu des difficultés à imposer l'autorité du pouvoir central à
l'intérieur, devait être de maintenir la paix avec les Carolingiens (63). On peut
penser que les bonnes intentions exprimées par les ambassadeurs cordouans en 810
furent contredites par la poursuite des attaques des pirates, ce qui expliquerait de
nouvelles tentatives en direction du port du delta de l'Ebre, sans doute l'une des
principales bases de départ des navires maures. La chronique de l'Astronome crédite
Louis d'Aquitaine d'un demi succès en 811, les habitants de Tortosa lui ayant remis,
de façon semble-t-il symbolique, les clés de leur ville (64).
Ni cette paix de 812, ni les accords intervenus l'année suivante entre les Idris
sides et les Byzantins ne marquèrent la fin immédiate des activités des Maures,
66 P. GUICHARD
puisque l'année 813 vit encore se produire plusieurs incidents sérieux, ainsi qu'on l'a
vu plus haut. Il semble bien, toutefois, que les «pirates», passée la surprise que
durent causer les premiers raids, se soient heurtés à une résistance de plus en plus
organisée (65). On peut penser aussi que leurs activités incontrôlées n'agréaient pas
plus à l'émir de Cordoue qu'au souverain idrisside de Fès. C'est peut-être à une
conjoncture moins favorable en Méditerranée occidentale qu'il faut attribuer la
brusque interruption de leurs attaques en Occident et le déplacement de celles-ci
vers le bassin oriental de la Méditerranée.
L'interruption des raids en Occident après 813 et le déplacement des activités de pira
terie vers le bassin oriental de la Méditerranée.
A partir de l'année 814, les annales carolingiennes, qui ne sont pourtant pas
moins détaillées qu'auparavant, au contraire, cessent en effet totalement de ment
ionner des attaques maritimes semblables à celles qui étaient devenues habituelles
au cours de la période précédente. Les quelques indications que l'on a, généralement
interprétées comme témoignant de la poursuite des activités des «pirates sarrasins»
pendant ces années (66), contrastent, par leur caractère peu explicite, avec les
notices relativement fournies des années 806-813. En 815, une ambassade sarde
vient à la cour de Louis le Pieux, mais le texte des annales n'indique pas que ce fait
soit en rapport avec une menace musulmane (67), et en 820 huit navires marchands
revenant de Sardaigne en Italie furent capturés par des pirates, dont l'origine n'est
pas précisée (68). Il est possible que cette affaire, assez mince si on la compare aux
attaques massives de l'époque antérieure, soit à mettre en rapport avec une attitude
plus agressive des Ifriqiyens à partir de ce moment (69). Ce calme, qui dure plus
d'une dizaine d'années, montre bien a contrario que les attaques sur mer n'étaient
pas liées aux phases d'hostilités entre l'émirat de Cordoue et les Carolingiens : les
années 814-815, qui voient l'arrêt des raids sur mer, sont en effet marquées par une
reprise des hostilités, à l'initiative de Cordoue, semble-t-il. Une bataille importante
contre les Francs a lieu, probablement en 815, près de Barcelone, mais les annales
carolingiennes, qui enregistrent cette rupture de la paix, ne signalent par ailleurs
aucun nouvel acte de piraterie maritime (70). C'est, semble-t-il, d'abord d'Ifrîqiya
que vinrent, après 820, de nouvelles menaces, moins pressantes que celles des
Maures d'Espagne avant 813 (71). Les grands raids en provenance d'Espagne
semblent, quant à eux, n'avoir repris qu'un peu avant 830, pour s'aggraver progress
ivements elon une chronologie très difficile à établir, jusqu'à l'époque de Fraxinetum
(72).
Cet arrêt soudain et prolongé des grandes expéditions de piraterie andalouse
sur mer doit probablement être relié à un autre événemnt important de l'histoire de
la Méditerranée à cette époque : l'apparition des Andalous dans son bassin oriental.
On sait en effet que dans le cours de l'année 814 ou au plus tard au début 815, c'està-
dire au moment même où cessent les raids à l'Ouest, une importante flotte de pira
tes andalous chargés de butins se présente devant le port égyptien d'Alexandrie, qui
leur sert de base pour des raids dans les îles byzantines. D'abord tenus à l'écart par
LES DEBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 67
les autorités de la ville, les Andalous ne tardèrent pas à intervenir dans les luttes de
factions qui la déchiraient, à partir d'avril-mai 815, où il sont mentionnés pour la
première fois. S'étant rendu maîtres de la cité en 816, ils y reçurent en 819 le renfort
d'un nombre important de Cordouans chassés d'Espagne après la «révolte du
Faubourg» de 818 (73). D'après Ibn Sa'îd, ces Cordouans, qui s'étaient d'abord réfu
giés à Tolède, écrivirent à un certain Muhâdjir ibn al-Qatîl qui se trouvait alors dans
le dâr al-harb, pour lui demander de se mettre à leur tête et de les emmener par mer à
Alexandrie (74). On sait que, quelques années plus tard, ces Andalous d'Alexandrie
furent obligés de quitter l'Egypte et allèrent conquérir la Crète où ils fondèrent un
petit émirat indépendant, qui devait durer de 827 à la reconquête de l'île par Byzance
en 961, terrorisant les zones maritimes de l'Empire par leurs incessantes incursions.
Il n'est pas douteux que le premier groupe de pirates arrivés à Alexandrie en 814 ou
815 représentait un effectif important et possédait des moyens navals considérables.
On ne comprendrait autrement ni le rôle qu'ils jouèrent dans la ville, ni le fait qu'un
de leurs chefs, ou du moins un chef andalou en rapport avec eux, ait pu mettre à la
disposition des exilés du faubourg des navires en quantité suffisante pour en faire
passer plusieurs milliers en Egypte. Ce brusque transfert d'une grande partie des
hommes et des navires du bassin occidental au bassin oriental de la Méditerranée
suffit sans doute à expliquer la soudaine interruption de la piraterie à l'Ouest, au
moment précis où elle commence à l'Est.
L'étude de la première phase des incursions des «pirates sarrasins» qui vient
d'être présentée n'a sans doute pas la prétention d' «expliquer» véritablement le
phénomène, ni même d'en fournir une description satisfaisante, l'un et l'autre object
ifsem blant, dans l'état actuel de la documentation disponible, totalement irréali
sables. On a simplement voulu exposer un certain nombre de constatations, tenant
d'une part à la chronologie des raids de la fin du Ville et du début du IXe siècle, en
fonction des événements qui affectent alors les régions du monde musulman
occidental, et d'autre part au vocabulaire utilisé par les sources carolingiennes
lorsqu'elles mentionnent les musulmans qui participaient aux expéditions maritimes
des années 798-813.
Des données qui précèdent, on peut tirer d'abord quelques conclusions négat
ives : ces expéditions, celles du moins qui se produisent pendant la période consi
dérée, n'ont rien de commun avec les grandes campagnes navales de l'époque
omeyyade, qui étaient des entreprises officielles, organisées par les représentants du
pouvoir califal, enregistrées comme telles par les chroniques arabes qui dépendent
elles-mêmes de récits semi-officiels à caractère annalistique. Totalement ignorées des
textes de ce genre, un hiatus d'un demi-siècle les sépare des précédentes et elles
partent de zones incontrôlées ou mal contrôlées par les pouvoirs sultaniens de
l'époque. Cependant, elles ne sont pas un phénomène diffus et insaisissable, compar
ablep ar exemple à la guerre de course barbaresque à l'époque moderne. Il s'agit
d'expéditions importantes, mettant d'emblée enjeu des moyens qui paraissent assez
considérables, attaquant les îles de la Méditerranée ou plus rarement des villes côtières
pour y capturer des esclaves. On a l'impression d'une action sinon absolument
unifiée et planifiée, du moins concertée en campagnes organisées, dans une certaine
mesure prévisibles à l'avance et s'en prenant à des objectifs précis. Surtout, celles-ci
68 P. GUICHARD
ont une chronologie bien délimitée, débutant en 798 et se terminant en 813, ce qui
déjà pourrait faire écarter l'idée d'un développement totalement anarchique.
Cette chronologie paraît déterminée par deux événements qui, eux, ont laissé
des traces dans les sources arabes : d'une part la première attaque, celle contre les
Baléares, coïncide exactement avec la concentration, sur les côtes orientales de la
péninsule ibérique, d'importants moyens en navires et en hommes amenés du
Maghreb et recrutés sur place par les princes omeyyades Sulaymân et 'Abd Allah,
révoltés contre leur neveu, l'émir al-Hakam de Cordoue ; d'autre part, la fin des raids
enregistrés par les sources coralingiennes est suivie immédiatement par l'apparition,
en Méditerranée orientale, de la flotte des pirates andalous qui s'emparent pour
quelques années d'Alexandrie et se lancent dans des expéditions de pillage contre
les îles grecques, puis se rendent maîtres de la Crète à partir de 827. Il est tentant de
rapprocher ces deux événements de l'apparition et de la disparition, également
soudaines, des activités de «piraterie» dans le bassin occidental.
La dernière constatation concerne l'appellation de Mauri systématiquement
appliquée par les sources carolingiennes aux «pirates» responsables des raids contre
les côtes et les îles, alors que ces mêmes sources désignent les Arabes d'Espagne ou
d'Afrique par le terme de Sarraceni. Dans le latin de cette époque, le mot maurus
conserve bien son sens étymologique d'habitants ou originaires des anciennes
provinces romaines de Maurétanie, c'est-à-dire de la partie occidentale du Maghreb,
approximativement du Maroc et de l'Algérie occidentale. Il faut rapprocher cette
indication de l'origine probable des contingents qui participèrent aux attaques des
années 798 à 813 contre les Baléares, la Corse et la Sardaigne, les îles italiennes et
quelques points des côtes carolingiennes. Ils venaient sans doute pour une part du
littoral du Maghreb extrême, mais surtout du Levant espagnol, région fortement
berbérisée au cours des Ville et IXe siècles. Les quelques indices un peu plus précis
concernant l'origine géographique ou ethnique des pirates maures dans la première
moitié du Ville siècle vont dans le même sens. Cela n'exclut évidemment pas la
participation probable de cadres arabes ou d'éléments hispaniques indigènes à ces
entreprises, mais il semble bien que la majorité des participants aient été des Berbèr
es,q ui avaient formé par ailleurs une part importante du matériel humain de la
conquête en Espagne et en Gaule.
On s'aventurera, pour conclure, un peu plus loin sur la voie des hypothèses. On
l'a déjà dit, le but principal des raids de ces années de la fin du Ville et du début du
IXe siècle était apparemment le commerce des esclaves. On peut se demander si la
demande d'esclaves ne fut pas augmentée par la fin de la conquête au milieu du Ville
siècle. L'indépendance du Maghreb, le tarissement de l'approvisionnement que
représente la fin des razzias en Gaule, durent provoquer une tension sur le marché
des esclaves dont l'Occident avait été l'un des grands fournisseurs. Le commerce des
esclaves blancs auquel se livraient, par l'Italie et peut-être déjà par l'Espagne, des
marchands «grecs», juifs, peut-être mozarabes, était sans doute, du fait même du
caractère ténu des échanges méditerranéens, insuffisant pour répondre à cette
demande. Peut-être les chefs des troupes et des navires concentrés par les princes
omeyyades rebelles sur la côte orientale de l'Espagne, dans les dernières années du
Ville siècle, comprirent-ils le parti qu'ils pouvaient tirer de la situation où ils se
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 69
trouvaient, disposant de moyens navals et militaires importants, au bord d'une mer à
peu près désertée par les marchands, non contrôlée par des flottes officielles inexis
tantes, où l'on pouvait trouver, dans les îles en particulier, des réserves d'hommes,
assez faciles à exploiter car mal défendues. La réticence croissante des pouvoirs,
gênés par ces activités incontrôlées, la meilleure organisation des défenses carolin
giennes et byzantines, purent amener au bout de quelques années ces groupes de
«pirates» à chercher d'autres terrains plus propices à leurs activités ou plus proches
des principaux marchés d'écoulement des esclaves qui se trouvaient en Orient. Cela
pourrait expliquer le transfert massif d'une grande partie de ces pirates et de leurs
navires dans le bassin oriental de la Méditerranée, en attendant que, dans les années
médianes du IXe siècle, une autre génération de «pirates» ne soit tentée par les occa
sions qu'offrait la désorganisation de l'empire carolingien.
NOTES
(1) Les textes arabes publiés en rapport direct avec les raids des «pirates sarrasins» dans le
bassin occidental de la Méditerranée sont très peu nombreux. Outre ceux mentionnés dans cet article,
on peut renvoyer à Mohamed Talbi, L'émirat aghlabide, Paris, 1966, pp. 413 et 534-535.
(2) La meilleure mise au point récente est celle de Lucien Musset, Les invasions : le second
assaut contre. l'Europe chrétienne (Vile - Xle siècle), Nouvelle Clio, Paris, 1965, pp. 147 - 157 et 273 -
277. Selon cet auteur, «la portée véritable des incursions musulmanes en Europe reste une des gran
desi nconnues de l'histoire du haut Moyen Âge». Il ne mentionne même pas, dans sa bibliograhie, les
ouvrages toujours cités sur le sujet de M. Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, Paris, 1836, réé
dité en 1964, tant on dispose de peu d'ouvrages sur la question, et de G. de Rey, Les invasions des
Sarrasins en Provence, Marseille, 1878, réimprimé également en 1971. Un autre ouvrage «classique»,
celui de B. Luppi, ISaracem in Provenza, in Liguna e nelleAlpi occidental/', Bordighera, 1952, n'amélior
epas se nsiblement le panorama histonographique. Le livre de J. Lacam, Les Sarrasins dans le haut
Moyen Âge français, Paris, 1965, pèche par une confiance exagérée dans les ouvrages d'érudition locale
du XIXe siècle, et par un excès d'enthousiasme en ce qui concerne des découvertes archéologiques
dont il n'est pas sûr qu'elles se rapportent bien à l'époque des invasions sarrasines.
(3) Ph. Senac, Musulmans et Sarrasins dans le Sud de la Gaule du Ville au Xle siècle, Paris, 1980.
La partie la plus intéressante de cet ouvrage concerne l'établissement de Fraxinetum (fin du IXe - fin
du Xe siècle), mais les hypothèses émises ont encore besoin de confirmations, en particulier archéo
logiques.
(4) On trouvera des informations sur ces découvertes dans les articles de P. Carra, J.-P. Joncheray
et A. Visquis et S. Ximenes publiés dans les Cahiers d'Archéologie Subaquatique, II, 1973 et V,
1976, et Archeologia, numéro 85, août 1975. Dans les actes du colloque de Valbonne de 1978 {La céra
mique médiévale en Méditerranée occidentale, XI - XVe siècles, Paris, 1980, pp. 221 - 226), G. Vindry a
présenté une partie du matériel céramique de la plus intéressante de ces épaves, celle du Bataiguier
(baie de Cannes), découverte et en partie étudiée par J.-P. Joncheray.
(5) E. Duprat, dans Les Bouches du Rhône, encyclopédie départementale, t. II, Paris - Marseille,
1924, p. 147.
(6) Par exemple P. Toubert pour le Latium {Les structures du Latium médiéval, École Française
de Rome, 1973, t. I, p. 312).
(7) Aussi bien le travail de P. Toubert que celui de P. Bonnassie sur la Catalogne se situent
chronologiquement après l'époque des attaques sarrasines.
(8) J.-P. Poly, La Provence et la société féodale, 879-1166, Paris, 1976, pp. 4-13.
(9) H. Pirenne, Histoire économique et sociale du Moyen Âge, éd. revue et mise à jour par H. Van
Werveke. Paris, 1963. o. 2.
70 P. GUICHARD
(10) F.L. Ganshof, «Notes sur les ports de Provence du Ville au Xe siècle», Revue Historique,
1938, pp. 28-37.
(1 1) Anne Riising, «The fate of Henri Pirenne's thesis on the consequences of the Islamic
expansion, Classica et Medievalia, Revue -danoise de Philologie et d'Histoire, vol. 13, 1, 1952, p. 101.
(12) Sur cette disparition des Syri, dont Pirenne faisait une conséquence de l'invasion musul
mane {Mahomet et Charlemagne, éd. de 1970, p. 124), mais qui semble bien être un phénomène plus
précoce qui affecte tout le Vile siècle, voir les remarques contenues dans la discussion de la communic
atiodne F.L. Ganshof à la semaine de Spolète consacrée aux Caratteri del s. VII in Occidente, Spolète,
1958, pp. 178 - 179.
(13) Sur l'abaissement des tonnages, par exemple, voir J. Rougé, «Quelques aspects de la navi
gation en Méditerranée au Ve siècle et dans la première moitié du Vie siècle», Cahiers d'Histoire, VI
(2), 1961, pp. 129 - 154.
(14) Toutes les capitales politiques des grands royaumes barbares du Vile siècle se trouvent
loin de la Méditerranée. Des cartes montrent bien le déplacement loin des rivages de celle-ci des prin
cipaux foyers de vie culturelle, religieuse ou économique : par exemple celles que propose P. Riche
dans sa communication sur «Les foyers de culture en Gaule Franque», dans le volume de la Xle semai
ndee Spolète (Centri e vie di irradiazione délia civiltà nell'alto Medioevo, Spolète, 1964), pp. 300, 301 et
306. Voir aussi la carte des trouvailles de monnaies wisigothiques sur le territoire de la péninsule ibéri
que dans le récent travail de M. Barcelô, «Wisigoths et Arabes en Catalogne», in : Histoire de la Catalo
gnes,o us la dir. de Ph. Wolff et J. Nadal, Toulouse, 1982, p. 226, qui fait bien apparaître, pour la pério
de57 5 - 713, le vide de la côte méditerranéenne de la péninsule ibérique et le report des axes princ
ipaux de la vie économique vers le centre et la zone atlantique. Cependant le littoral de la Septimanie a
fourni un nombre important de monnaies.
(15) Sur ce dernier point, voir l'intéressant article de M. Barcelô, «El Hiato en las acunaciones
de oro en al-Andalus, 127 - 316/744(5) - 936(7)», Moneday crédito, Madrid, numéro 132, marzo 1975,
pp. 33-71.
(16) Ces exportations d'esclaves sont mentionnées pour la première fois en 750 dans le Liber
Pontificalis : les Vénitiens achètent à Rome des esclaves pour les vendre aux Infidèles en Afrique (R.
Doehaerd, «Méditerranée et économie occidentale pendant le haut Moyen Âge», Cahiers d'Histoire
mondiale, I (3), 1954, p. 584), puis un quart de siècle plus tard, dans une lettre du pape Hadrien 1er à
Charlemagne, où le Pontife se défend de favoriser le commerce des esclaves que les «Grecs» font,
depuis les pays lombards en direction du monde musulman (M.G.H., Ep. Merowingici et karolmi aevi,
t. I, Berlin, 1892, lettre 59). On connaît par ailleurs les nombreux témoignages de l'existence de ce
commerce à partir de l'empire carolingien dans la première moitié du IXe siècle.
(17) Sur ce point, voir ma communication au colloque des Médiévistes de Dijon en 1978 (P.
Guichard, «Animation maritime et développement urbain des côtes de l'Espagne orientale et du
Languedoc au Xe siècle», Occident et Orient au Xe siècle, Actes du IXe Congrès de la Société des
Médiévistes, Paris, 1979, pp. 187 - 192).
(18) Voir en particulier, outre les ouvrages classiques de A.R. Lewis, Naval power and trade in
the Mediterranean, A.D. 500 to 1100, Princeton U.P., 1951 (reprint 1970), et E. Eickhoff, Seekneg und
Seepolitik zwischen Islam und Abendland, Berlin, 1966, les travaux portant sur des aspects plus limités
de W. Hoenerbach, «La navegaciôn omeya en el Mediterraneo y sus consecuencias politico culturales
», Miscelanea de estudios arabes y hebraicos (Univ. de Granada), 1953, pp. 77 -95 ; P. Sebag, «Les
expéditions maritirhes arabes du Ville siècle», Cahiers de Tunisie. VIII (31), 1960, pp. 73 -82 ; M.
Talbi, L'émirat aghlabide, Paris, 1966, pp. 384-388.
(19) M. Barcelô, «Some commentaries on 'the earliest muslim invasion of Spain'», Islamic
Studies, Journal of the Islamic Research Institute of Pakistan, IX (2), June 1970, pp. 183 - 190 : le fait
peut se déduire du rapprochement de la Crômca de Alfonso III, qui mentionne une attaque de la flotte
sarrasine contre les rivages hispaniques sous le roi Wamba (672 - 680) et d'un passage de l'historien al-
Tabarî, qui fait état d'une première «invasion» de l'Espagne par les Musulmans antérieurement à celle
de 711.
(20) Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 386-388.
(21) D'après une notice qui, je crois, n'a pas été remarquée jusqu'à présent, contenue dans le
dictionnaire bio-bibliographique d'al-Dabbi (Bughyat al-multamis, éd. F. Codera et J.Ribera, dans le t.
III de la Bibliotheca Arabico-Hispana, Madrid, 1885, numéro 1253), l'amiral omeyyade 'Ayyâsh b.
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 71
Sharâhil al-Himyarî, qui commandait la flotte ifriqiyenne lors de la conquête d'al-Andalus, revint de ce
pays en Ifriqiya en 100 H. (718-719).
(22) Talbi, L'émirat aghlabide, p. 388.
(23) Talbi, L'émirat aghlabide, p. 389 : «Le phénomène (de paix) intéressa l'ensemble de la
Méditerranée qui connut, dans la seconde moitié du Ville siècle, une accalmie dont le sens profond et
les motifs sont encore à déceler», et p. 391 : «On ne peut mettre avec certitude aucune incursion à
l'actif (des Aghlabides) avant l'année 206/821 -822».
(24) L. Musset, Le second assaut..., p. 150.
(25) H. Pirenne, Mohamet et Charlemagne, pp. 115-117 et note 2 de la p. 115.
(26) A.R. Lewis, Naval power and trade, pp. 98 et sqq.
(27) Id., Ibid., p. 100.
(28) E. Eickhoff, Seekneg und Seepolitik, p. 47.
(29) M.G.H., Scnptores rerum merovingicarum, II, éd. B. Krusch, Hanovre, 1888, pp. 191 - 192.
(30) M.G.H., Epistolae merowingia etkarohm aevi, t. 1, Berlin, 1892, p. 585. (correspond à Jaffé,
Reg., 2426).
(31) Id., Ibid., p. 588 (correspond à Jaffé, Reg., 2424).
(32) Sur cette expédition, voir : E. Levi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane, I, Paris,
1950, p. 145 ; Ph. Wolff, «L'Aquitaine et ses marges», m : Karl der Grosse, H. Beumann, B. Bischoff et
al. dir., Vol. I, Dusseldorf, 1965, pp. 277-278 ; E. Griffe, «La razzia sarrasine de 793 en Septimanie :
bataille de l'Orbeil ou bataille de l'Orbieu», Annales du Midi, 1941, 53, pp. 225 - 236. Ces événements
sont connus par la Chronique de Moissac, le Bayân et Ibn al-Athir.
(33) Les Omeyyades de Cordoue ne semblent guère avoir commencé à se doter d'une véritable
flotte avant les attaques normandes du milieu du IXe siècle : Levi-Provençal, Hist, de l'Esp. mus. , I, p.
225. Sur les Baléares, cf. P. Guichard, «Animation maritime..», pp. 193 et 195 - 196.
(34) M.G.H. Scnptores, I, éd. Pertz, Hanovre, 1826, pp. 158 - 159. Les Annales launsenses font
mention des «Maures et Sarrasins» ; le texte parallèle des Annales quae dicuntur Einhardi ne parle que
des Maures.
(35) Id., Ibid., pp. 184-185.
(36) Sur ces événements, Lévi-Provençal, Hist. Esp. mus., I, pp. 150-154. Les précisions
chronologiques sont fournies par les textes du Bayân et d'Ibn al-Athir, dont on trouvera la traduction
dans : E. Fagnan, Histoire du Maghreb et de l'Espagne, Alger, 1901 - 1904, II, pp. 110 - 114, et du
même : Annales du Maghreb et de l'Espagne, Alger, 1901, pp. 153 - 154 et 160- 163.
(37) Sur ce point, voir : P. Guichard, «Le peuplement de la région de Valence aux deux
premiers siècles de la domination musulmane», Mélanges de la Casa de Velâsquez, V, 1969, p. 143 et
passim.
(38) Voir le tableau donné en annexe. La mention de Maures faits prisonniers à Lisbonne par le
roi de Galice s'explique facilement par le peuplement principalement berbère du centre de l'actuel
Portugal (P. Guichard, Structures sociales «orientales» et «occidentales» dans l'Espagne musulmane,
Paris - La Haye, 1977, p. 274, et références de la n. 111, p. 281). De même celle des Maures de la zone
orientale. Sur le sens du mot Maurus dans les chroniques du Ville siècle : N. Barbour, «The significan
cofe the word maurus. . . », Actas IV Congresso de Estudios Arabes e Islamicos, Coimbra — Lisbonne,
sept. 1968, Leyde, 1971, pp. 262-266.
(39) M.G.H., Scnptores, I, p. 193.
(40) Id., Ibid., p. 194.
(41) Id., Ibid., p. 196.
(42) Id., ibid., p. 197.
(43) Id., ibid., p. 199.
(44) M.G.H., Epistolae karolini aevi, t. Ill, 1895, pp. 96 - 97.
(45) M.G.H., Scnptores, I, p. 200.
(46) M.G.H., Epistolae karolini aevi, III, pp. 97-99. '
(47) Voir les travaux de Ph. Wolff, «L'Aquitaine- et ses marges», et: «Les événements de
Catalogne de 798 -812 et la chronologie de l'Astronome», Anuano de Estudios Médiévales, (Barce
lone), II, 1965, pp. 451-458, et infra.
(48) Ph. Wolff, «L'Aquitaine et ses marges», pp. 276 sqq.
72 P. GUICHARD
(49) On reviendra plus loin sur l'envoi par Cordoue d'ambassades à Aix-la-Chapelle en 810 et
812. C'est seulement en 815 que l'émirat tente une offensive contre Barcelone (voir infra), profitant
peut-être de la mort de Charlemagne à la fin de 814.
(50) La nature exacte du «pouvoir» exercé par 'Abd Allah al-Balansî dans la région valencienne
nous échappe (cf. P. Guichard, «Le peuplement de la région de Valence» 143 - 144). Ses relations
avec son neveu doivent avoir été bonnes, car les chroniques ne signalent aucun conflit de ce côté, et
mettent en valeur le rôle joué par le fils de 'Abd Allah, 'Ubayd Allah, comme général au service de
l'émir (Levi-Provençal, Hist. Esp. mus., I, p. 185 ; le Bay an attribue même le commandement de
l'expédition de 815 contre Barcelone à 'Abd Allah lui-même). '
(51) Voir le tableau donné en annexe et les références données aux notes 42 et 46.
(52) Sur les groupes berbères des régions de Tortosa et de Valence, voif P. Guichard, Structures
sociales, pp. 267 sqq. et 274. La chronique de l'Astronome, dans le récit relativement détaillé qu'elle
fait des campagnes franques dans la zone de Tortosa, mentionne à plusieurs reprises la présence de
Mauri aux côtés des Sarraceni établis dans cette région (M.G.H., Scnptores, II, Hanovre, 1828, pp.
612-615). On peut relever à cet égard un passage particulièrement curieux : un soldat maure, étant
entré dans l'Ebre pour s'y laver et y ayant vu du fumier de cheval apporté par l'eau, put déduire de son
aspect la pésence de troupes franques dissimulées en amont du fleuve et en avertir les musulmans, ce
que le chroniqueur rapporte expressément à l'expérience des chevaux caractéristique des Berbères
(«sicut sunt nimiae calliditatis» : p. 614).
(53) Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 431 - 433. Sur la probable origine valencienne de ce person
nage,v oir ma communication au / Congreso de Histona del Pais Valenaano, vol. II, Universidad de
Valencia, 1981, pp. 399 -409 («Toponymie et histoire de Valence à l'époque musulmane : un chef
berbère valencien du IXe siècle à la conquête de Sicile ?»).
(54) M. Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 391-392.
(55) J. Bngnon, A. Aminé et al.. Histoire du Maroc, Paris — Casablanca, 1967, pp. 62-64.
(56) M.G.H., Epistolae karolim aevi, III, pp. 97 - 99 ; cette lettre est en partie transcrite, analy
séeet commentée par M. Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 395 - 396 et note. Parlant de la minorité de leur
souverain, les envoyés auraient dit : «Iste relictus est parvulus, et qui fuit servus factus est liber, et qui
liber fuit effectus est dominus, et nullum se regem habere putabant». Il est intéressant de noter que
ces légats avaient fait le voyage sur des navires vénitiens.
(57) Voir les articles de Ph. Wolff indiqués ci-dessus, notes 32 et 47.
(58) Lévi-Provençal, Histoire de l'Espagne musulmane, I, pp. 181 • 182, d'après le texte perdu
du Muqtabis d'Ibn Hayyan.
(59) M.G.H., Scnptores, II, pp. 613 - 614, et Fagnan, Histoire du Maghreb et de l'Espagne, II, p.
117.
(60) M.G.H., Scnptores, I, p. 198.
(61) Ph. Wolff, «Les événements de la Catalogne...», p. 457.
(62) Le même auteur, même article (suivant Auzias, l'Aquitaine carolingienne), pp. 457 -458.
(63) II semble que si des envoyés carolingiens étaient venus à Cordoue, les annales n'auraient
pas manqué de le signaler. Or nous avons seulement des indications sur les ambassades envoyées par
l'émir à Charlemagne, puis à Louis le Pieux. On peut en conclure que, dans ces relations diplomati
quesc',es t plutôt l'émirat de Cordoue qui se présente en demandeur.
(64) M.G.H., Scnptores, II, p. 615.
(65) L. Halphen, Charlemagne et l'empire carolingien, Pans, 1968, p. 89 ; Ph. Wolff, «Les événe
ments de Catalogne...», p. 457, et les références aux lettres pontificales citées, en particulier M.G.H.,
Epistolae karolim aevi, III, p. 88.
(66) Voir par exemple F. Lot, Ch. Pfister, F.L. Ganshof, Les destinées de l'Empire en Occident de
395 à 888, 2e éd., Paris, 1940-1941, p. 482.
(67) M. G. H., Scnptores, I, p. 202 («Legati Sardorum de Carali civitate dona ferentes venerunt
»).
(68) Id., ibid., p. 207.
(69) M. Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 393 et 404.
(70) Lévi-Provençal, Hist. Esp. mus., I, p. 185 ; la date de 815, fournie par le Bayan, est celle
qui concorde le mieux avec les annales carolingiennes qui indiquent cette année-là la rupture de la
paix avec Cordoue qui avait été observée pendant trois ans (M. G. H., Scnptores, I, p. 202).
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 73
(71) M. Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 393 et 404. La détérioration des relations entre les Francs
et les Aghlabides est bien marquée par le raid carolingien de 828 contre Utique et Carthage. Le texte
des Annales qui nous informe de cette expédition indique que, n'ayant pas trouvé de pirates dans les
eaux de la Corse qu'ils avaient pour mission de protéger, le comte de Lucques et les Toscans poussèr
enjtus qu'en Ifrîqiya, ce qui semble indiquer que les pirates que l'on s'attendait alors à trouver en
Corse étaient plutôt des Ifriqiyens que des Andalous (M.G.H., Scnptores, II, p. 632).
(72) En 830 a lieu l'intervention des Andalous en Sicile, qui était à l'origine une expédition de
piraterie partie de Tortosa (M. Talbi, L'émirat aghlabide, pp. 431 - 432.). En 838, Marseille est mise à
sac par des pirates Sarrasins dont l'origine n'est pas indiquée, et en 842 la région d'Arles est pillée par
des Maures (d'après les Annales Bertintani, dans M.G.H., Scnptores, I, pp. 432 et 439). La même
chronique signale (p. 442) le célèbre raid sur Rome de 846, imputé à des «Sarraceni Maurique». Un
passage du géographe arabe Ibn Rustih (Kitâb al-A'lâq an-nafisa, éd. Hadj Sadok, Alger, 1949, p. 71)
laisse penser que les pirates qui attaquèrent Rome étaient encore d'origine andalouse et marocaine.
(73) Lévi-Provençal, Hist, de l'Esp. mus. , I, pp. 171 - 172 ; Voir aussi le travail récent de Jorge
Aguade, «Algunos hadices sobre la ocupaciôn de Alejandna por un grupo de hispano-musulmanes»,
Boletin de la Asoaaaôn Espanola de Onentalistas, XII, 2, 1976, pp. 159 - 164.
(74) D'après Ibn Sa'îd, Mughrib, éd. ShawqîDayf, Le Caire, 1964, 1. 1, p. 42 : Les «rabadis» réfu
giés à Tolède «écrivirent à Muhâdjir b. al Qatîl, qui se trouvait dans le dâr al-harb ; ils le placèrent à
leur tête, et 15 000 d'entre eux passèrent la mer avec lui pour Alexandrie». On sait que le terme de dâr
al-harb (zone de guerre) s'applique aux pays non musulmans avec lesquels le dâral-Islâm n'est pas en
situation de trêve et auxquels on peut faire la guerre sainte.
Résumé
Cet article propose un réexamen des textes des annales carolingiennes concernant les pre
mières expéditions «sarrasines» contre les îles et les régions côtières de la Chrétienté occidentale. Ces
attaques se différencient nettement, par leur caractère non officiel et leur but principalement écono
mique, des grandes expéditions de l'époque omeyyade dont un demi siècle de calme en Méditerranée
les sépare. Elles ne correspondent pas à un phénomène diffus et insaisissable, mais se situent entre
deux événements connus par ailleurs (la révolte de 'Abd Allah al-Balansi contre l'émir al-Hakam II de
Cordoue et la venue des Andalous à Alexandrie) qui semblent en rapport avec leur début et leur fin.
Ce sont enfin principalement des Berbères (Maun) andalous et marocains qui semblent avoir participé
à ces raids.
Abstract
This article proposes a re-examination of the texts of the Carolingian annals concerning the first
«Saracen» expeditions against the islands and coastal regions of western Christendom. These attacks
are distinctly different, by their unofficial nature and their mainly economic aim, from the great expe
ditions of the Omeyyad era, which were followed by half a century of calm in the Mediterranean. They
do not correspond to a vague or elusive phenomenon, but are situated between two events that are
well known to us through other sources (the revolt of 'Abd Allah al-Balansi against the emir al-Hakam
the Second of Cordoba and the coming of the Andalusians to Alexandria) and that seem connected
with their beginning and their end. It seems, finally, that mainly Andalusian and Moroccan Berbers
(Maun) participated in these raids.
74 P. GUICHARD
ANNEXE I : «SARRACENI» ET «MAURI»
DANS LES TEXTES CAROLINGIENS
A.E. : Annales quae dicuntur Einhardi et A.L. : Annales laurisenses (M.G.H., Scriptores, I,
éd. Pertz, Hanovre, 1826 ; V.H. : Vita Hludowici imperatoris (M.G.H., Scriptores, II,
Hanovre, 1828).
Venue à Paderborn de chefs sarrasins de la vallée
de l'Ebre S
Les mêmes et d'autres Sarrasins donnent des otages lors
de l'expédition de Saragosse. , S
Louis d'Aquitaine reçoit au plaid de Toulouse des
envoyés du sarrasin Abu Thawr. S
Une armée sarrasme attaque Narbonne. S
Le gouverneur sarrasin de Barcelone, Sa'dun, vient à Aix
la Chapelle. S
Le prince sarrasin 'Abd Allah vient également à Aix. S
Le chef sarrasin Bahlul envoit une ambassade à Louis
d'Aquitaine. S
Les Baléares sont attaquées par
les Maures et les Sarrasins. S M
Le roi Alphonso de Gahce envoie à Charlemagne des
prisonniers maures pris à Lisbonne M
Les Baléares sont défendues contre
Les Maures et les Sarrasins. S M
Le gouverneur sarrasin de Huesca, Azan, envoie les clés
de la ville à Charlemagne. S
Le roi des Sarrasins envoie une armée de secours à
Barcelone assiégée par les Francs. S
Rôle du comte Bera dans la défense de la Marche contre
les Sarrasins. S
Ambassade du roi de Perse Harun al-Rashid accompa
gnéde'u n légat sarrasin (aghlabide). S
Prise de Barcelone et capture de son gouverneur, Sa'dun,
ainsi que d'autres Sarrasins. S
Pépin d'Italie envoie une flotte en Corse contre les
Maures. M
Navarrais et Vascons quittent l'alliance sarrasme pour
revenir à celle des Francs. S
Envoi du connétable Burchard pour combattre les
Maures en Corse. M
Les Maures attaquent la Corse et y pillent une ville. M
Campagne de Louis dans la région de Tortosa. Sarrasins
et Maures rassemblent une armée. S M
Des Maures de toute l'Espagne attaquent la
Sardaigne. M
Mort de l'éléphant envoyé à Charlemagne par le roi des
Sarrasins (Harun al-Rashid). S
La Corse encore ravagée par les Maures. M
Un soldat maure avertit les forces musulmanes de
Tortosa de la présence des Francs. M
La soumission des habitants de Tortosa aux Francs in
quiète les Sarrasins et les Maures. S M
Paix avec le roi des Sarrasins d'Espagne. S
Des Maures revenant de Corse sont vaincus par le
comte d'Ampunas. M
A.E. 813 Les Maures vengent cet échec en pillant Centumcellae
et Nice. M
A L./A.E.
A.L./A.E.
V.H.
A.E./C.M.
AE.
A.L./A.E.
V.H.
A.L./A.E.
A.L./A.E.
A.L./A.E.
A.E.
V.H.
V.H.
A.E. .
A.E.
A.E.
A.E.
A.E.
A.E.
V.H.
A.E.
A.E.
AE.
A.E.
V.H.
A.E.
A.E.
777
778
790
793
797
797
798
798
798
799
799
"801
801
801
801
806
806
807
809
809
810
810
810
810
811
812
813
LES DÉBUTS DE LA PIRATERIE ANDALOUSE 75
ANNEXE II : TEXTES DES ANNALES CAROLINGIENNES
SUR LA PIRATERIE SARRASINE.
798 A.L. Insulae Baléares a Mauris et Sarfacenis depredatae sunt.
A.E. Insulae Baléares, quae nunc ab incolis earum Maiorica et Minor ica vocitantur,
a Mauris piraticam exercentibus depredatae sunt.
799 A.L. Insulae Baléares, quae a Mauris et Sarracenis anno priori depredatae
sunt, postulato atque accepto a nostns auxiho nobis se dediderunt et,
cum Dei auxiho, a nostns a praeincursione defensae sunt ; signa quoque
Maurorum in pugna sublata et domno régi praesentata sunt.
A.E. Allata sunt et signa, quae occisis in Maiorica Mauris praedonibus erepta
fuerunt.
806 A.E. Eodem anno in Corsicam insulam contra Mauros qui earn vastabant
classis de Italia a Pippino missa est, cuius adventum Mauri non expectantes
abscesserunt ; unus tamen nostrorum, Hadumarus cornes civitatis
Genuae, imprudenter contra eos dimicans occisus est.
807 A.E. Eodemque anno Burchardum comitem stabuli sui cum classe misit in
Corsicam, ut earn a Mauns qui supenonbus annis îlluc praedatum venire
consueverant defenderet ; qui, juxta consuetudinem suam de Hispania
egressi, primo Sardiniam adpulsi sunt, îbique cum Sardis proeho
commisso, et multis suorum amissis — nam tria miha îbi cecidisse perhibentur—
in Corsicam recto cursu pervenerunt. Ibi iterum in quodam
portu eiusdem insulae cum classe cui Burchardus praeerat proeho
decertaverunt, victique ac fugati sunt, amissis tredecim navibus et plunbus
suorum interfectis. Adeo îllo anno in omnibus locis adversa fortuna
fatigati sunt, ut ipsi sibi hoc accidisse testati sint, ea quod anno supenore
contra omnen justitiam de Patelana insula sexaginta monachos asportatos
in Hispania vendiderunt, quorum aliqui per liberahtatem imperatons
iterum ad sua loca reversi sunt.
809 A.E. Mauri quoque de Hispania Corsicam ingressi, in ipso sancto paschali
sabbato civitatem quamdum dinpuerunt, et praeter episcopum ac paucos
senes atque infirmos mhil in ea rehquerunt.
810 A.E. Mauri de tota Hispania maxima classe co parata, primo Sardiniam,
deinde Corsicam appulerunt, nulloque m ea inventô praesidio, insulam
paene totam subegerunt.
812 A.E. Imperator Bernhardum filium Pippini, nepotem suum, in Italiam missit.
Et propter famam classis quae et de Africa et de Hispania ad vastandam
Italiam ventura dicebatur, Walanem filium Bernhardi patruelis sui cum
illo esse jussit quoadusque rerum eventus securitatem nostns adferret.
Haec classis partim in Corsicam, partim in Sardiniam venit ; ea quidem
pars quae ad Sardiniam est delata pêne tota delata est.
813 A.E. Mauris de Corsica ad Hispaniam cum melta praeda redeuntibus Irminganus,
cornes Empontanus, in Maiorica insidias posuit et octo naves eorum
cepit, in quibus quingentos et eo amphus Corsos captivos invenit. Hoc
Mauri vindicare volentes, Centumcellas Tusciae civitatem et Niceam
provinciae Narbonensis vastaverunt. Sardiniam quoque adgressi,
commissoque cum Sardis proeho, pulsi ac victi, et multis suorum amissis
recesserunt.
76 P. GUICHARD
ANNEXE III : TEXTES PONTIFICAUX
SUR LES ATTAQUES MUSULMANES
(Les lettres pontificales faisant allusion aux attaques maures se trouvent
dans M.G.H., Epistolae karolim aevi, III, 1895, pp. 96 - 97 et 97 - 99 ; une
lettre de mars 808 mentionne aussi la menace des «païens» et des «enne
mis»d u pape et de Charlemagne sur les régions littorales de l'Italie et de
la Corse (ibid. p. 88).
813 (Un envoyé du pape, revenant de Sicile, lui apprend que) Septem navigia
1 1 nov. Maurorum praedaverunt unum vicum in Rigio ; et duas naves ex eis post
eos ad htus exierunt vacuae. Nam et hoc nuntiavit nobis (missus noster)
quod audisset ab hominibus Sarracenorum missis (les ambassadeurs
sarrasins, probablement idnssides, venus auprès du patnce de Sicile),
quod isto Iunio mense transactae sextae indictionis voluissent cum alus
centum navibus ad Sardiniam peragrare ; et dum venissent propre Sardiniam,
subito aperta est maris et subgluttivit ilia centum navigia ; et postmodum
sic cum magno timoré reversi sunt ipsi Sarraceni qui hoc dicebant
in Africa et nuntiaverunt ad famiham de Ulis, qui submersi sunt, et
talem luctum fecerunt, qualem nunquam ibidem fuit. Cumque ipse
missus noster taha audisset, interrogavit ilium notanum, qui eum custodiebat,
si ventas esset, quae ab îlhs Sarracenis audierat. Et dixit ipse
notanus, quod ita esset, et ipse ore propno legisset ad patricium illam
espistolam, quam ei unus chnstianus amicus suus ab Africa direxit, in
qua de submersione de praedictis centum navigiis continebat. Et hoc
factum est in mense Iunio, quando îllud signum igneum tamquam lampadam
in caelo multi viderunt.
812 Illa nefandissima Agannorum gens partibus Sicihae anno praesente
26 août venire consiliaverunt. Nunc autem, sicut audivimus, in quibusdam
Grecorum insulis coniunxerunt...
Ingressi sunt ipsi nefandi Maun, tredecim scilicet navigia, in insulam,
quae dicitur Lampadusa, Partibus Sicihae constituta, et praedaverunt
earn. Cumque de predicto Grecorum stolo septem navigia ibidem explorando
perrexissent, ut se ventatem cognoscere potuissent, comprehendentes
eos Deo odibiles Maun occiderunt îllos. Et dum exspectassent
eos Greci, qui miserunt îllos ad explorandum et minime essent reversi,
abierunt generaliter super eos. Et Chnsto miserante totos îllos iniquos
Mauros occiderunt, ita ut nec unum ex us vivum rehquerunt. Porro et
hoc relatum est nobis, quod quadragmta naves de ipsis Mauris venerunt
in insulam, quae Pontias vocitatur, ubi monachi residebant, et praedave
runeatrn . Postmodum vero egredientes ex ea, ingressi sunt in insulam,
quae dicitur Iscia maiore, non longe a Neapohtana urbe mihana XXX, in
qua familia et pecuha Neapolitanarum non parva invenerunt ; et fuerunt
mibi a XV usque XII kal. Septembns, et numquam ipsi Neapohtani super
eos exierunt. Cumque totam ipsam insulam depredassent, implentes
navigia sua de hominibus et escis necessanis, reversi sunt post se. Kaietam
autem, qui post desolationem tam dictae insulae ibidem fuerunt, dixerunt,
quod invenissent hommes occisos jacere, et granum et scirpha,
quae ipsi Maun portare secum non potuerunt ; sed et caballos Maunscos,
quos in suis ducebant navigus, occisos ibidem dimiserunt. De nostns
autem terminibus vestrae tranquillissimae impenali potenttae, quia...
per vestram prudentissimam ordinattonem omnia salva et înlassa
existunt.

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